Pour construire dès maintenant une structure qui rassemble les anticapitalistes (Renaud Cornand)

 

  (Texte à télécharger au format pdf ici)

 

Pour construire dès maintenant une structure qui rassemble les anticapitalistes


Ce texte constitue une contribution au débat engagé dans la Gauche Anticapitaliste sur l’orientation à adopter,  notamment concernant notre rapport aux autres organisations de l’espace de la gauche de transformation sociale.  Notre réflexion doit s’articuler autour de trois dimensions : notre rapport au NPA, à la dynamique du Front de Gauche et enfin aux courants du Front de Gauche hors Parti de Gauche et Parti Communiste.

1- Le NPA : histoire d’un échec prévisible

Le NPA a été fondé sur l’analyse selon laquelle les idées défendues par la LCR avaient trouvé assez d’audience populaire pour rassembler dans une même organisation l’ensemble de ceux qui voulaient changer réellement la société par la gauche. Cette analyse était en réalité basée bien plus sur la popularité d’un leader, Olivier Besancenot, sur son succès médiatique et ses résultats électoraux, que sur le constat d’une adhésion à nos propositions. Si ce point de départ constituait sans doute un obstacle important à la réussite du projet, son échec n’était pas certain. La volonté de dépasser les divergences dans la sphère anticapitaliste pouvait être séduisante si sa concrétisation avait conduit à rassembler des courants structurés, d’ampleur comparable à celle de la LCR. Malheureusement, sur ce plan, la constitution du NPA n’est apparue que comme un élargissement militant de la LCR. L’impossibilité de renouveler la direction du parti peut aussi s’expliquer en partant de ces points : on y a retrouvé une part importante de ceux qui dirigeaient l’ancienne LCR auxquels se sont ajoutés des militants dont il était difficile de savoir d’où ils pouvaient tirer leur légitimité -que l’on ne prenne pas ici ces propos pour une attaque contre les personnes concernées, mais bien plutôt comme une défaillance systémique de l’organisation du NPA- : pas donc, d’un réel appui sur un collectif militant de base, pas sur une formation politique particulière qui leur aurait servi aussi bien dans la mise en œuvre de lignes politiques que dans la possibilité de former à leur tour. Il est très difficile de savoir s’il y avait dès lors un antidote : s’il avait fallu que l’organisation prenne en charge la formation de ses futurs dirigeants, la question centrale aurait été de savoir à quoi il fallait les former, et le débat aurait été pour le moins difficile au vu de la volonté de ne pas revendiquer un héritage politique strictement défini, de « prendre le meilleur du mouvement ouvrier ». Cette volonté d’assumer une diversité d’héritages, si le flou de la formule pouvait attirer tant qu’on ne s’attachait pas à définir ce « meilleur », ne simplifiait pas les débats puisqu’en réalité le « meilleur » de l’héritage c’est toujours ce dont on a soi-même hérité. La volonté affichée de ne pas voir se développer des tendances a elle aussi fortement participé à déligitimer la direction, ses membres n’étant pas démocratiquement élus par rapport à des lignes politiques.

 Par ailleurs, nous nous sommes confrontés à de nouveaux débats qui ont vu se développer des divergences qui ne divisaient pas les anciens de la ligue d’un côté et ceux qui n’en étaient pas issus de l’autre. Le débat qui a certainement le plus divisé s’est posé autour de la question du foulard, et principalement sur la possibilité de le voir porté par une militante, donc candidate potentielle, et par une candidate réelle dans le cas d’Ilham Moussaid à Avignon. Ce type de discussions et les divergences qui s’y sont révélées, comme celles portant sur les conceptions du féminisme, sur la prostitution, mais aussi sur le fonctionnement, la démocratie, etc… ne dépendent pas seulement des positionnements au sein de la sphère anticapitaliste qui pré existait au NPA, puisque les désaccords à leur propos traversent les différentes organisations, courants ou groupes. Mais on peut supposer que ces divergences auraient pu être dépassées, sans donc trancher les questions dans un sens ou dans un autre, par l’inscription du NPA dans un projet politique clair, compréhensible, et s’il s’était donné les moyens de proposer sa mise en œuvre.

2- Le NPA : la solitude comme objectif, le sectarisme comme argument

A travers ses stratégies électorales, le NPA a tourné le dos à ses ambitions initialement affichées dès qu’il s’est trouvé confronté à la question des alliances, lors des élections européennes de 2009, assez proches de sa fondation. Il n’est certainement pas nécessaire de revenir ici sur l’argument de l’unité durable qui, à y regarder rétrospectivement ne convainc plus grand monde et apparaît pour ce qu’il était : l’habit -ou l’alibi- stratégique d’une tactique sectaire. On objectera que ce texte s’inscrit dans la série des argumentations qui ne conçoit l’unité en politique que lors des élections alors qu’elles ne constitueraient qu’un moment politique parmi d’autres, au premier rang desquels les luttes sociales, luttes au cours desquelles le NPA aurait toujours cherché à construire l’unité. Mais ce type de discours fait l’impasse sur deux éléments fondamentaux : si les échéances électorales ne constituent sans conteste que des moments politiques parmi d’autres, elles n’en restent pas moins des évènements politiques majeurs, de loin les principaux en fait, pour une partie importante de la population. Il n’est pas ici question de postuler que ces moments sont ceux qui permettent de faire progresser de manière remarquable le niveau de conscience de la population, mais c’est bien à travers leur positionnement lors des élections que les partis politiques construisent les représentations que la majorité de la population aura d’eux. On oublie souvent lorsqu’on opte pour une position politique que le plus important n’est pas tant les raisons qui nous poussent à ce choix, mais plutôt la façon dont elle sera comprise. Lors des européennes, notre positionnement est apparu, dans les milieux militants et au-delà, comme un positionnement sectaire motivé par le seul refus de toute alliance et illustrant à nouveau l’incapacité de l’extrême gauche à s’unir pour poser concrètement la question du pouvoir.

Le deuxième élément sur lequel font l’impasse ceux qui accusent les militants de l’unité -pour faire vite- d’ « électoralisme » est que les positions prises lors d’élections ne peuvent être sans effet sur les constructions de cadres unitaires lors de luttes sociales. Comment penser que l’unité dans les luttes ne souffrirait pas de la division lors des élections ? Lorsqu’il est possible de mener une campagne unie, cohérente et en accord avec nos principes fondamentaux, une campagne qui nous permette de populariser nos mesures d’urgence en renforçant le cadre qui les porte, alors rien ne justifie de ne pas la mener.

Enfin il semble légitime de s’intéresser aux raisons pour lesquelles les « anti-électoralistes » passent autant de temps et d’énergie à construire ou à permettre des campagnes électorales… 

Le NPA n’a pas su ensuite renverser la dynamique d’isolement mortifère dans laquelle il s’était lancé. Cette tendance atteint son paroxysme aujourd’hui : un collectif militant extrêmement réduit, une campagne revendiquant seulement l’identité ouvrière et  appelant à la mobilisation de masse, sans donc plus avoir de mots ou presque pour une situation transitoire où l’application de mesures d’urgence améliorerait le sort des opprimés en prenant au capital pour  répartir les richesses, renforcerait la classe ouvrière et ses les capacités de mobilisation. C’est cette dimension transitoire qui permet à l’extrême gauche d’être à la fois réaliste, donc crédible, et de garder un objectif ambitieux, révolutionnaire. Ce que produit le NPA dans cette pré-campagne présidentielle peut être sans risque assimilé à de la phrase révolutionnaire, celle des idéalistes pour qui l’état réel des rapports de force est un élément qui n’a pas droit de citer dans l’analyse.

La fonction réelle du NPA aujourd’hui est de donner de l’extrême gauche une image d’inutilité et de participer à déconsidérer les autres courants se réclamant de la gauche de transformation sociale. Il est plus que temps de s’en démarquer, de se désolidariser d’un parti qui tend à devenir une juxtaposition de micro sectes gauchisantes, non pour perdre ou diluer le projet révolutionnaire mais pour rendre audibles nos propositions pour qu’il advienne.

3- Les espaces politiques de l’anticapitalisme

Les patrons sont convaincus de la justesse de la lecture de la société en classes sociales : ils développent des stratégies diverses pour extraire la plus value la plus importante possible du travail, ils ont des hommes politiques dans leur camp ou à leur service qui se chargent d’habiller idéologiquement des mesures qui conduisent à allonger la durée du travail (de la semaine ou de la vie à travers le recul de l’âge de la retraite) ou encore à réduire le coût de la main d’œuvre à travers les délocalisations. La liste serait longue.  A leur service, ils ont aussi tous ceux qui tentent de diviser les travailleurs entre eux et d’imposer une fracture ethnique au sein de la société française, de Marine Le Pen à certains représentants du PS, en passant par la droite populaire et l’UMP. L’objectif d’une organisation anticapitaliste doit être de construire les modalités de mobilisation de tous ceux qui subissent les effets des politiques servant le capital, et donc de prendre part aux dynamiques qui permettront de passer de la classe en soi à la classe pour soi. Sur le champ politique des élections à venir la dynamique du Front de Gauche se situe vraisemblablement dans cette perspective : les mesures les plus visibles de son programme répondent clairement à l’exigence de reprendre des parts de ce qui est volé : multiplication des tranches d’impôt sur le revenu, SMIG à 1700 euros, etc.. deux dimensions au moins posent toutefois problème dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon : la marginalisation des questions non liées à la stricte répartition des richesses (féminisme, anti-racisme, questions de genre, etc…) et une tendance à magnifier la France peu compatible avec notre tradition internationaliste. Mais ces deux positionnements ne sont pas partagés par l’ensemble des courants et organisations constituant le Front de Gauche, et il est possible de s’inscrire de façon critique dans la dynamique du Front de Gauche tout en développant nos campagnes propres, en assumant donc ce qui nous différencie tout en affirmant que ça ne nous divisera pas. Une autre dimension problématique est constituée par la domination du PC sur le Front de Gauche. Elle influe à deux niveaux : la démocratie dans le FDG (par exemple la répartition des candidatures entre les diverses organisations pour les législatives ou encore les difficultés rencontrées à organiser des assemblées citoyennes), et la question du rapport à un éventuel gouvernement PS. Du point de vue de notre courant, la meilleure manière de faire évoluer le FDG sur ses pratiques est de participer à leurs débats, et dans le cas où ceux-ci n’empêcheraient pas le PC de reproduire une gauche plurielle bis, il nous sera d’autant plus facile de dénoncer ce choix si nous avons tout mis en œuvre pour qu’il ne soit pas fait et de recueillir ainsi les fruits d’une dynamique alliant unité et radicalité. Quand elles fonctionnent bien, le meilleur endroit pour défendre la nécessité de l’indépendance vis-à-vis du PS est sans aucun doute les assemblées citoyennes. La posture à adopter doit allier revendication de nos positionnements, notamment de nos mesures d’urgence ou de notre programme pour sortir de la crise, et affirmation de notre disponibilité pour les défendre dans un collectif plus large portant une dynamique que nous analysons positivement. Très concrètement et à court terme, cela signifie aussi prendre une position claire pour les élections présidentielles : nous avons des réserves quant à la campagne de Jean-Luc Mélenchon, mais c’est une candidature qui répond aux aspirations unitaire de la gauche de transformation sociale, qui porte des mesures d’urgence pour les classes populaires, et cette perspective de réelle alternative de gauche ne peut pas être compatible avec la participation à un gouvernement dominé par le parti socialiste. Cette position permet à ceux qui le souhaitent de s’engager réellement dans les campagnes présidentielles et législatives du FDG et aux autres d’en rester en retrait.

4- Les courants anticapitalistes du FDG

Toute autre formulation pour les élections présidentielles conduit à une impasse. Un appel sans plus de précision à battre la droite et l’extrême droit met sur un pied d’égalité parti socialiste, europe écologie les verts, le FDG, LO, le NPA. C’est tout d’abord faux politiquement puisque ces diverses organisations proposent pour certaines des orientations radicalement opposées, et c’est très mauvais stratégiquement puisque ça augure mal d’un possible rapprochement avec des courants clairement anticapitalistes qui participent aujourd’hui au FDG. Un appel à voter Poutou ou FDG reproduit le même dernier problème, et apparaît erroné politiquement au vu des arguments développés jusqu’ici.

Le positionnement de participation critique aux campagnes du FDG ou d’appel à voter pour leurs candidats construit qui plus est le cadre le plus propice à la poursuite de l’objectif de notre courant : rassembler les anticapitalistes dans une structure qui nous permette de peser dans les débats politiques, de porter les aspirations populaires dans les luttes et dans les urnes. Il faut dès maintenant travailler à la convergence de la Gauche Anticapitaliste, de la FASE et des courants dont la majorité des membres sont issus du NPA ou de la LCR (CA, GU) qui ont eux fait le choix de rejoindre le FDG. Cela signifie de prendre partout où c’est possible l’initiative de coordination des anticapitalistes qui, si elle structurerait au départ les courants cités, pourront par la suite accueillir tous ceux qui souhaitent s’inscrire dans cette démarche, anticapitaliste, ouverte, utile.

Renaud Cornand, Gauche Anticapitaliste, Marseille

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :